En dehors de ces deux grands types qui avaient soudainement traversé la rue, il n’avait rien vu venir ce soir là : ni la droite qui lui avait écrasé le sternum, ni le sac qu’on lui avait mis sur la tête, ni le scotch sur sa bouche et sur ses poignets, et encore moins le coffre dans lequel il allait passer le quart d’heure suivant. Ce quart d’heure d’un siècle…
Pourquoi ? Pour de l’argent ? Il n’en avait pas. Une vengeance ? Il ne voyait pas qui aurait pu lui tenir rigueur de quoi que ce soit… Alors qui ? Des sadiques ? Des trafiquants d’organes ? La mafia ? Toutes les hypothèses tournaient dans sa tête tandis que la voiture ralentissait. Le grincement d’une porte de garage. Le crissement souple des pneus sur le gravier. Puis l’immobilité. Le silence. Le cœur qui bat, dans le noir, et pousse le sang le long des tempes, croisant la sueur qui redescend. Deux portières qui claquent, l’une après l’autre. Et le noir, toujours le noir. La bouche sèche d’un seul coup derrière ce putain de bâillon. Le coffre qui s’ouvre. On le saisit, on le met tant bien que mal debout, on le pousse dans le dos : « Marche ». Et au bout de 20 mètres : « Assis toi « . Le cœur proche de rompre quand on enlève le sac, quand on arrache le bâillon ; lumière en pleine gueule, et toujours la même voix, derrière l’ampoule aveuglante :
« T’es guitariste, non ?
– Euh, oui… Mais qu’est-ce…
– Je t’explique : on a une nuit pour enregistrer 12 guitares électriques sur 3 amplis, et dans toutes les positions de micros. Et on va le faire dans 5 styles musicaux.
– Mais…
– Mais rien. Si tu fais ce qu’on te dit, que tu joues tout au clic, demain matin on te ramène chez toi et on te file même un billet pour le dérangement. Des questions ?
– Mais…
– C’est pas une question, ça.
– Mais…
– Ok, je vois qu’on est d’accord. Tiens, commence par la SG là, après on attaquera la Telecaster, puis la Strat. Les tablatures sont devant toi… Joue bien, sinon on va être obligé de te garder tout le week-end… »
Voilà, c’était le cacheton le plus improbable de toute sa vie de guitariste. Jouer des centaines de fois la même chose pour deux espèces de maniaques, dans une cave, devant une caméra. Il avait même eu droit à un sandwich et une bière chaude à la pause. Tout ça pour quoi ? Il ne le saurait sans doute jamais… Sur une table, non loin de la, deux enceintes XPS 2.0 80 DJ Monitor d’Hercules, et contre le mur du fond, une basse Cort Arona 5 : pas de quoi en tirer des conclusions… Alors jouer, jouer encore, jouer toujours, jusqu’à s’en user les doigts et les oreilles…
Jusqu’à ce que l’autre type, celui qui n’avait encore rien dit, se lève et lui présente un écriteau : « Maintenant tu regardes la caméra et tu lis ça. Après ce sera fini… »
Et il avait lu, sans trop chercher à comprendre, parce qu’après ce serait fini :
« Sur ce, bon week et à la semaine prochaine.
Los Teignos
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