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Saison

C’est la mie du pain frais dans la sauce qui reste, la corbeille écroulée de fruits sur l’épaisseur blanche de la nappe à festin, tout cela sur le tapis roulant de ma faim, au morne train du peu d’appétit, c’est une nature morte sans l’oiseau qui la chante, sans le peintre qui les peint dans le vide du musée.

C’est le repos mérité dans les draps frais, la fatigue réparée sous le vieux chêne, à savoir dans son dos l’étendue des fleurs dans les champs du rêve, tout cela en maintenance derrière les panneaux interdits, le plus de dimanche et le toujours lundi, ce même bâtonnet que l’on repasse à la craie sur le mur du cachot, seul prisonnier de cet unique barreau.

Et puis l’air pur et la fraîcheur du lac, filants nuages glissant sous les barques, poissons clapotant, hirondelles au fil de l’eau, tout cela figé dans le plat d’une photo, sans profondeur pour s’y baigner, surface de choses sans autre poignées qu’un souvenir à demi éteint.

C’est aussi le vent qui fait danser l’ombre sur les rideaux de lumière, la longue attente de la nuit dans le murmure des élytres, tout cela ramené à la bête utilité d’une pendule qui n’a qu’un seul et unique mot pour dire le temps qui passe, et le retard exaspérant du médecin dans la salle d’attente du diagnostic.

Ce sont encore les trains promesse d’Italie, le fouillis des langages qui s’entremêlent dans la sonnerie, mais au lieu de cela toute une gare clouée à sa grève, le silence résigné du siège immobile, et le quai qui s’efface quand la voie s’évanouit, un paquebot de fer dans une mer de béton.

Puis tu surgis comme une saison.

Et tes alliés débarquent, distribuant les chewing-gums de la liberté, des bulles roses éclatant aux portes des lèvres parmi les récits de traversée, allumant le goût des voyage dans les yeux des enfants. Et comme le rouge redevient rouge, le bleu redevient bleu, ciel pur cardant son coton, coquelicots éclos, jaillissantes jonquilles, immenses sapins aux paumes tendues vers le bleu de Staël, saules bras ballants infusant dans le brun des étangs. La pluie même est encore du soleil, ruisselant sourire d’un monde qui n’appartient à aucune photo. Y souffle de nouveau le vent qui gonfle les voiles et charrie les pollens, et repartent les trains serpentant entre les lacs, avec leur voyageurs surexcités hurlant l’amour à chaque virage par les fenêtres, les poissons cherchant la fraîcheur et le calme des grandes pierres plates dans le lit des rivières. C’est le retour odorant du bruit et de la couleur, faune et flore disant l’été, l’hiver, l’automne et le printemps dans le désordre de chaque heure du jour et de la nuit, et c’est dans ce joyeux vacarme la musique de mon nom quand c’est ta voix qui en joue, me souvenir qui je fus et reprendre qui je suis, entendre l’oiseau qui chante, peindre le peintre, et m’allonger sous le chêne, apaisé à la seule idée que je puisse dormir là comme derrière le rideau clair où chahutent les ombres. C’est la beauté de ton île qui se souvient de ma foulée, ce sentier vers la maison simple de nos bras en regard du monde, où la création retrouve la splendeur du temps de nos nudités, la clarté et la candeur des origines.

Et me reviennent premier homme les jardins d’émerveillement où tu marchais première femme, ce lieu et ce moment où tu as pris ma main pour ne plus jamais la lâcher, m’affranchissant du joug de la liberté.

Et dans nos paumes l’humanité.

Publié dansPoèmes à la première femme

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